Petit cours d'observation : analyser les postures des autres

Les postures des mannequins

Pour aider mes patients à faire évoluer leurs postures, j’ai cherché des exemples et je me suis aperçu qu’il y en avait partout. Les postures asymétriques et rondes que les photographes demandent aux mannequins sont les mêmes que celles que je conseille pour soulager le dos.

 

A ceux qui doutent du côté naturel de la rondeur, de l’asymétrie, des déverrouillages ou des déhanchements, à ceux qui n´imaginent pas que l’esthétique est dans le relâchement et non dans le contrôle, je leur conseille de ne plus m’écouter mais d’ouvrir les yeux.

 

Quand une photo est réussie, il y a quasiment toujours :

 

  • une grande cohérence dans l’organisation articulaire et
  • une absence de contrainte dans le maintien.
Mannequin
Mannequin

Regardez cette première photo. Nombreuses sont mes patientes qui, si elles avaient été photographiées comme cela, auraient été effarées par la rondeur de leur dos. Cette ligne ronde du dos soulignée de noir sur fond blanc et combinée avec l´expression tranquille du mannequin, génère une sensation d´aise. Il est difficile d’imaginer qu’elle ne soit pas dans une posture de bien-être. La courbe du dos est prononcée mais la posture est équilibrée car le buste est reculé. Le dos se tient tout seul ; il repose sur sa structure. Tout l’art est de trouver le point d’équilibre. La même photo prise dos droit ne donnerait pas un aussi bel effet.

 

La posture offre un appui lombaire fort sans pourtant mettre de pression sur les disques lombaires, c’est pour cela que les patients douloureux se sentent bien dans cette position. Le soutien des avant-bras sur les cuisses évite d’avoir à tenir ses bras et préserve donc de toute tension le cou ou les trapèzes.

 

  • La position des jambes complète le tout : au-delà de leur longueur particulière, on note l´écartement des pieds et la rentrée du genou droit. La cuisse droite roule vers l´intérieur et la hanche suit. Ce jeu de jambe est rendu possible car l’assise au bord de la fesse droite libère la hanche, stabilise le bassin et améliore l’appui lombaire.
  • Les talons hauts détendent les muscles postérieurs de la jambe et libèrent le bas du dos. Ce n’est pas un hasard : je vous montrerai que le penseur de Rodin, qui n’a pas de talon, place ses pieds de la même façon.

 

Une telle analyse peut paraître complexe mais c’est dans la pratique que tout s’éclaircit : essayez de vous asseoir sur le bord d´un siège haut et prenez cette posture en analysant les sensations au fur et à mesure des ajustements. Cette photo illustre aussi une vérité étonnante : Pour savoir si une position est bonne, je regarde le visage. La non-douleur et le relâchement s’y voient par une détente immédiate des traits.

La position du dos influence l´expression du visage

Mannequin
Mannequin

Cette deuxième photo est un bel exemple d´enroulement esthétique. Tout y est rond : rondeur légère du dos et du cou, rondeur magistrale du haut du dos et des épaules. Elle souligne aussi le bénéfice des soutiens. Le bras gauche appuyé hors cadre stabilise la posture, car il soutient le haut du buste qui, à son tour, soutient la tête. Je vous incite à revenir régulièrement sur cet enroulement torse-épaules lorsque vous avez mal au dos et à l´intégrer dans les postures habituelles.

 

Pour tirer parti de cet enroulement épaules – torse, rappelez-vous :

 

  • que le mouvement doit être global avec une participation des lombaires, des cervicales, des épaules et d’une expiration longue,
  • que l’enroulement des épaules ne favorise en aucun cas un dos voûté plus tard.

 

Un mot sur la main droite : son rôle est subtil. En donnant un point de soutien léger, elle permet au cou de trouver un appui de structure solide. Une fois les appuis trouvés, la main peut être retirée sans perturber l’équilibre de la pose.

Mannequin assise
Mannequin assise

Cette troisième photo rappelle qu’il ne faut pas hésiter à donner de l´asymétrie et des soutiens lombaires à sa position assise. Les sensations de non-douleur et de bien-être renforcent la conviction que cette posture est saine. Il est intéressant d’observer aussi le soutien des bras par les accoudoirs et la rotation du cou qui vient compléter l’asymétrie totale.

"Mais, Docteur, vous ne m’imaginez tout de même pas prendre les postures de ces mannequins ?"

"Mais, Docteur, vous ne m’imaginez tout de même pas prendre les postures de ces mannequins ?"

Eh bien, pourquoi pas ? Je vous invite même à les imiter le plus possible. Ces postures donnent de l’allure à tous.

 

Et si, votre problème principal est le mal au dos, je vous promets à nouveau que ces positions de mannequin vous soulageront.

 

Essayez ! Vous serez surpris... à condition de jouer le jeu, de ne pas les caricaturer et de travailler les ajustements.

Les photos des mannequins mais aussi des acteurs, des sportifs, des hommes et femmes politiques et autres figures publiques montrent que le champ des postures est beaucoup plus varié que celui qui est autorisé et qu’une partie des maux de dos sont la conséquence de la normalisation des postures.

S'inspirer des artistes

Si vous n’êtes pas convaincu par le feuilletage des magazines et par les poses mannequin, regardez le travail des peintres et des sculpteurs. Les attitudes prises par les modèles des plus grandes sculptures et des portraits peints les plus réputés sont les mêmes.

Le penseur de Rodin
Le penseur de Rodin

J´aime l´exemple du Penseur de Rodin. Il s´agit là d’un monument ! Et qui oserait penser que le Penseur ne se tient pas bien ?

 

Sa force vient de sa stabilité et de son relâchement dus aux soutiens et aux appuis déployés. Sans tension musculaire, le penseur peut se consacrer à la seule contemplation des choses de l’esprit.

 

  • Les vertèbres cervicales hautes sont déverrouillées et légèrement fléchies.
  • Le thorax est fermé par la position du coude droit sur la cuisse gauche mais il n’est pas comprimé parce que le dos est incliné.
  • Le bassin est légèrement basculé à droite pour favoriser l’asymétrie de flexion des deux jambes. Cette bascule incline et stabilise les lombaires.
  • Les pieds en extension participent au relâchement des muscles postérieurs.
  • La main gauche est inclinée vers le bas avec une détente des muscles de l’avant-bras.

 

Le Penseur a une posture en flexion. Les bascules, les enroulements et les asymétries sont modérés mais l’ensemble est homogène, stable et fort. Il m´arrive en le regardant de me demander comment les artistes font pour percevoir toutes ces subtilités que j’ai mis tant de temps à voir !

 

Mais le plus magistral est son port de tête. Plutôt que de vous l’expliquer, essayez de le ressentir.

 

Asseyez-vous près d´une table, le coude droit posé dessus et la pointe du menton appuyé sur le bord du poing. Le regard est pour l´instant à l’horizontale. Faites alors rouler le poing vers vous en cassant le poignet et essayez de ressentir le moment où le poing et le menton vont basculer ensemble vers une nouvelle position tout en relâchement. C’est ce lâcher-prise stabilisé qui procure l’apaisement physique général que l’on ressent en regardant Le Penseur... et qui permet au Penseur de penser !

Je ne suis plus tout seul

Depuis que j’incite mes patients à l’analyse de leurs postures, articulation par articulation, je sens bien leur réserve. Tant qu’il s’agit de soulager leur dos, ils en perçoivent l’intérêt mais si c’est pour ajuster un geste du quotidien, ils ne me suivent plus.

 

Mes amis de course à pied prennent la même distance et se moquent gentiment : « Olivier, ça t’arrive de courir sans réfléchir à la position de tes pieds ou de tes hanches ? Essaie de mettre un pied devant l’autre, ça ne marche pas si mal ! ».

 

Seul avec mes idées, je recherche en permanence des informations qui aillent dans mon sens mais qu’ils s’agissent de gymnastiques, d’activités sportives ou d’approches corporelles, les rôles de la hanche, du genou, de la bascule du bassin ou d’autres articulations sont souvent évoqués mais, à chaque fois, relégués derrière des considérations musculaires, psychologiques, énergétiques, … . Je voudrais pourtant que l’on finisse par se rende compte que « quelque chose » ne va pas dans l’utilisation du système articulaire.

 

J´ai bien trouvé quelques exemples de réflexions sur les articulations et sur la solidité de la structure qui vont dans mon sens : un site de boxe évoque la puissance articulaire ; un autre de tir à la carabine explique que celle-ci doit être portée par l´os et non pas maintenue par les muscles, … Et puis, l’inattendu est arrivé.

Le David de Donatello

Le David de Donatello
Le David de Donatello

Au cours d’un documentaire télévisé sur la Renaissance, une sculpture de Donatello était analysée articulation par articulation.

 

Un étudiant de l´école de sport de Cologne y reproduisait la pose du David de Donatello. Sa posture était ensuite captée par des caméras et traduite en données informatiques. Le but des chercheurs était d’analyser les connaissances anatomiques de Donatello.

 

Il y était dit : « [David] déporte son poids sur sa jambe de support et libère l’autre. [...] Il est quasi impossible d’avoir les muscles aussi relâchés quand on est debout comme ça. David se tient à « contrapposto ». Son poids repose entièrement sur une jambe, sur l’articulation de la hanche et sur les ligaments. Ses omoplates sont saillantes. Il ne fait aucun effort dans cette posture. Son ventre tombe un peu vers l’avant. Bref, il est très détendu et, comme il n’a pas les jambes très écartées, il pourrait se mouvoir dans n’importe quelle direction. »

 

Le contrapposto désigne, en sculpture ou en peinture, une position debout basée sur un déhanchement qui suggère un certain effet de dynamisme dans les personnages représentés. Il apparaît dans la sculpture grecque et est remis au goût du jour par les artistes de la Renaissance pour des représentations plus réalistes.

 

« Donatello a certainement étudié le mouvement pour parvenir à le représenter aussi bien. Il sculpte à la perfection certains détails auxquels nous n’avions même pas pensé en voulant reproduire sa démarche. Par exemple, la forme du muscle fessier qui semble complètement détendu, les plis dans lesquels se logent les muscles ou les membres qui paraissent très mobiles justement parce que les muscles sont relâchés. [...] Donatello évoque à merveille les principes de l’économie gestuelle. [...] L’artiste immortalise son personnage dans une posture idéale selon l’état actuel de la recherche. [...] Le personnage n’a pas besoin de mobiliser ses muscles pour être bien redressé. »

 

J’avais enfin trouvé grâce à ce reportage un support scientifique à mes propositions !

 

La concordance des mots entre ceux qui y sont utilisés et ceux que j’utilise en cours de mes consultations est tout de même étonnante. Le déhanché, les appuis de structure, le relâchement par les jeux articulaires, l’économie gestuelle, le « se tenir droit » non musculaire et les capacités de mobilité, tout ce qui aide à guérir le dos est là !

 

Mais attention, le David de Donatello, est jeune, fin et laxe, et doté d’une mobilité particulière qu’il peut être de reproduire mais dont il est possible de s’inspirer pour apprendre à mieux se connaître !

A retenir

Les jeux articulaires ne sont pas des constructions artificielles. Ils sont retrouvés dans les situations artistiques dans lesquelles se combinent la fonctionnalité et l’esthétique.
Ils sont aussi validés scientifiquement.

Prendre les positions des mannequins soulage le mal de dos